Il est vrai que le propriétaire du White Star Line ne cessait de harceler le Capitaine du bateau pour qu'il augmente la vitesse : il voulait battre un record pour ce premier voyage, dont la publicité l'aiderait à récupérer les pertes subies par les navires Cunard. Et il est vrai que le Capitaine - qui avait déjà pris sa retraite après quatre décennies de bons et loyaux services et qui était revenu uniquement sous la pression pour commander cet illustre voyage inaugural - avait cédé avec lassitude à la pression de son employeur et avait poussé imprudemment la vitesse du navire à son maximum. Il est vrai, aussi, que le constructeur du bateau, à bord pour cette première traversée, avait conçu des cloisons étanches, mais uniquement jusqu'à hauteur du pont « C », de manière à fournir aux passagers de première classe des cabines plus spacieuses.
Avec ces étalages d'arrogance et de négligence, le décor était planté.
A 23h40, le dimanche 14 avril, la mer était calme, la nuit sans lune, la température de 1'eau et de l'air frisait le zéro degré. L'homme de vigie repéra l'énorme iceberg un rien trop tard et le navire réagit un rien trop lentement. L'iceberg érafla le côté du navire sous la surface de l'eau, 1'ouvrant comme une boîte à sardines, 1'entaillant de six fines rainures, ouvrant une brèche dans six des compartiments étanches. Le bateau, à ce moment-là, était perdu. Ce n' était plus qu'une question de deux heures et demi. Les passagers, spécialement ceux de la première classe qui, pour la plupart, n'avaient même pas senti l'impact, refusèrent, dans un premier temps, de croire qu'il y eut le moindre danger.
Les passagers de la troisième classe savaient qu'il y avait un problème : l'eau s'engouffrait en effet dans leurs cabines-dortoirs. Mais, lorsque le navire se mit à donner de plus en plus dangereusement de la bande, il n'était plus possible d'ignorer l'inévitable.
Il n'y avait que vingt canots de sauvetage. Pour abriter toutes les personnes à bord, il y aurait dû en avoir cinquante-quatre, mais un si grand nombre de canots aurait pris bien trop de place sur le pont des premières classes. Malgré cela, les deux premiers canots furent mis à la mer presque vides quelle personne sensée aurait voulu quitter le grand paquebot chauffé, brillamment éclairé, pour se fourrer dans un minuscule canot ouvert, s'agitant sur une mer froide, sombre, si sombre ?...
Lorsque le dernier des canots fut mis à la mer, il restait plus de quinze cents personnes à bord, y inclus tous les millionnaires américains (la femme d'Isidore Strauss choisit en réalité de mourir plutôt que de quitter son mari).
Et l'orchestre a continué de jouer, jusqu'à la fin...
A ce moment-là, 1'arrière du grand navire s'éleva à une hauteur de deux-cents pieds - vingt étages - au-dessus de la surface de l'océan. Il se maintint dans cette position quelques brèves minutes, dressé, presque perpendiculaire, avec plus d'un millier de gens qui hurlaient et s'accrochaient désespérément à lui, avant de plonger et de s'enfoncer.
En quelques secondes, l'objet mouvant le plus grand de la terre avait complètement disparu.





D'où vient cette fascination pour cette nuit tragique d'avril 1912 ? Elle ne date certainement pas du film de James Cameron, même s'il a contribué à cristalliser un culte. Pourquoi ces quelque deux mille deux cents âmes frappent-elles ainsi l'imaginaire collectif ? Certes, il y a dans l'histoire du Titanic tous les éléments d'une bonne tragédie antique. Les unités sont toutes là, même si l'unité d'action n'était certainement pas la même en fond de cale et dans les suites de luxe.
Certes, la fascination qu'exercent les failles du progrès, des morts mythiques recensés lors de l'édification de la Muraille de Chine à l'explosion en plein vol de la navette Challenger, ne se tarira sans doute jamais.
Certes, il y a un certain hypnotisme morbide à imaginer qu'en quelques heures, ces gens ont plongé de l'un des moments les plus exaltants de leur vie vers la mort.
Mais la question qui finalement nous hante est simple si le destin nous avait placés à bord du bateau, si les circonstances nous avaient forcés à devenir autres que ce que nous sommes à l'ordinaire, nos agissements auraient-ils été ceux d'un héros ou ceux d'un lâche ?

Stéphane Laporte, auteur de l'adaptation française.



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