"Le Petit Parisien" du mardi 16 avril 1912

Le Petit Parisien du 16/04/1912 L'EMOUVANT ACCIDENT DU 'TITANIC'
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Le plus grand paquebot du monde
heurte un iceberg devant Terre-Neuve

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Mais on a pu, heureusement, sauver les 2.358
personnes qui se trouvaient à bord

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Londres, 15 Avril.
Une émotion considérable a été causée ce matin, à Londres, par la nouvelle télégraphiée, de New-York que le paquebot Titanic, de la White star Line, le plus grand navire du monde, était, hier soir, entré en collision avec un iceberg et, gravement avarié, coulait peu à peu dans l'Atlantique, au large de Terre-Neuve.
L'inquétude provoquée par cette dépêche était d'autant plus naturelle que le Titanic, qui effectuait son premier voyage, avait à bord 2.358 passagers et hommes d'équipage.
Jusqu'à deux heures, cet après-midi, cette inquiétude fut loin de se calmer. Quoique maigres, en effet, les détails reçus étaient de plus en plus angoissant. C'est ainsi qu'on annonçait que l'accident s'était produit au large du cap Race, à l'extrémité sud-est de Terre-Neuve.
Le Titanic, qui avait eu son avant défoncé par le choc avec la montagne de galce, réclamait de l'aide en toute hâte par la télégraphie sans fil et indiquait sa position comme étant 40° 46' de latitude nord par 50° 14' de longitude ouest. Ce message fut reçu par le paquebot Virginian, de l'Allan Line et par l'Olympic, qui forcèrent leur vitesse pour se porter au secours du navire en danger.
Une demi-heure plus tard, un autre message du Titanic annonçait que le paquebot sombrait de l'avant, qu'on mettait les canots de sauvetage à la mer et qu'on embarquait toutes les femmes qui se trouvaient à bord.
La situation apparaissait d'autant plus grave qu'au moment de l'accident le Virginian se trouvait à 170 miles de distance du Titanic, et l'Olympic à 200 miles environ.
Le Virginian ne pouvait être au plus tôt sur les lieux de la catastrophe avant neuf heures et demie du matin, heure américaine, c'est-à-dire deux heures et demie de l'après-midi, heure d'Europe. Le seul détail qui donnait quelque espoir, c'est que le temps était beau et la mer calme.
Au début de l'après-midi, on apprenait que d'autres paquebots, le Baltic, le Mauretania et le Cincinnati, ainsi que les paquebots allemands Prinz-Adalbert, Amerika et Prinz-Frederich-Wilhelm, avaient intercepté, eux aussi, les messages du Titanic et se rendaient également à son secours.
Quelques instants plus tard, une dépêche, plus alarmante encore, arrivait de New-York et annonçait que le dernier message du Titanic reçu par le Virginian, était indéchiffrable et avait été interrompu brusquement. On en conclut aussitôt que les machines du Titanic avaient été inondées et que le navire naufragé avait dû être abandonné.
Enfin à deux heures dix, les nouvelles tranquillisantes commencèrent à arriver. Un câblogramme de New-York annonçait que le Virginian avait atteint le Titanic, auprès duquel il se tenait et qu'il n'y avait plus à craindre de catastrophe.
A deux heures quarante, un télégramme d'Halifax déclarait que tous les passagers avaient quitté le Titanic ce matin, à trois heures trente, heure américaine.
D'autre part, la compagnie White Star Line déclare de la façon la plus nette que toutes les craintes concernant la sécurité des passagers n'ont pas de raison d'être, le navire ne pouvant sombrer.
Un câblogramme, reçu à trois heures et demie de Terre-Neuve, annonce que le Titanic lutte pour atteindre, par ses propres moyens, la côte de Terre-Neuve, vers le cap Race.
Le Titanic, qui jauge 46.882 tonnes, à 290 mètres de longueur. Il avait à bord 350 passagers de première classe, 305 de seconde, 800 d'entrepont et 903 hommes d'équipage. Parti de Southampton le 10, il avait fait escale à Cherbourg pour y prendre les passagers venant de Paris. Parmi ceux-ci se trouvent plusieurs multimillionnaires américains et leur famille, au nombre desquels M. Widener, le fils du milliardaire qui acheta, l'an dernier, le tableau le Moulin de Rembrandt, pour 2.500.000 francs, et M. Roebling.
Au nombre des passagers embarqués à Southampton sont : le colonel J-J Astor-Says, président du Grand-Trunk ; M. Ismay, président de la White Star Line ; M. le jonkheer von Reuchlin, directeur-adjoint de la Holland America Line; M. Thayer, président du Pensylvania Railroad ; la comtesse Rothes, le publiciste Stead, MM. Gugenheim et Strauss, banquiers.
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A CHERBOURG
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Cherbourg, 15 avril.
Le Titanic avait quitté Southampton mercredi à midi pour Cherbourg où il arriva à 7 heures du soir. Il était commandé par le capitaine Smith, qui passe pour malchanceux, car un accident était déjà arrivé à l'Olympic alors qu'il le commandait.
De plus, en quittant Southampton, le Titanic avait fait des avaries au paquebot New-York, dont il avait brisé les amarres.
A Cherbourg, pendant son escale, il embarqua 325 passagers de première classe et 484 émigrants, dont 3 allemands, 70 américains, 118 anglais, 30 autrichiens, 6 danois, 65 russes, 87 suédois, 21 norvégiens.
Au total, 3 Français seulement : MM. Aubard, Pernod et Malachard étaient à bord.


Dans les agences maritimes à Cherbourg, où les paquebots de la White Star Line font escale chaque semaine, tout le monde était cet après-midi affolé.
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LE DANGER DES ICEBERGS
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Quand vient le dégel de la banquise, qui pendant les mois d'hiver a recouvert les parties nord des océans, il s'en détache des quantités de montagnes de glace qui, poussées par les vents et les courants, descendent vers les mers plus chaudes, où elles finissent par se fondre et disparaître.
Dans cette saison, les navires qui circulent entre New-York et l'Angleterre ou le continent sont exposés à rencontrer sur leur route un grand nombre de ces iceergs, véritables îles flottantes, qui constituent pour eux un danger presque aussi grand que des écueils quelconques.
Les grandes vitesses dont sont dotés les paquebots actuels rendent le danger de ces abordages encore plus considérable. L'iceberg est assez difficile à voir dans les nuits noires ; une vague lueur blanchâtre le décèle cependant, mais pas d'assez loin pour qu'un navire lancé à la vitesse de 23 ou 24 noeuds puisse s'arrêter avant de le toucher.
De même le rayonnement de cette masse de glace produit autour d'elle un refroidissement sensible de la température, refroisissement que les thermomètres des navires peuvent également accuser. Mais là encore, l'avertissement vient souvent trop tard.
En réalité, les accidents causés par les icebergs, et semblables à celui dont le puissant et majestueux Titanic vient d'être victime, ont été nombreux, et il est probable que la disparition de certains bâtiments dont on n'a jamais retrouvé trace, doit leur être attribuée.
Voir la suite à la Dernière Heure.

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Le Petit Parisien du 16/04/1912 Le "Titanic" remorqué vers Halifax s'enfonce lentement dans les flots
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Les icebergs qui sillonnent l'Océan ont failli provoquer de nombreuses catastrophes
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Londres, 15 Avril.
On n'a plus d'inquiétude sur le sort des passagers du Titanic. Une dépêche de télégraphie sans fil de l'Olympic a confirmé, en effet, la nouvelle du transbordement des passagers sur d'autres navires accourus à leur secours. C'est ainsi, que le paquebot Parisian, de l'Allan Line, a pris à son bord les passagers de vingt canots de sauvetage. Les autres ont été transférés à bord du paquebot Carpathia, de la compagnie Cunard. Quant au Titanic lui-même, que son équipage n'a pas abandonné bien qu'il ait ses cales complètement pleines d'eau, le Virginian, qui fut le premier à arriver sur les lieux de l'accident, l'a pris en remorque et l'entraine lentement dans la direction d'Halifax (Nouvelle Ecosse). Toutes les pompes du bord sont en action pour maintenir le Titanic à flot.
Les dernières nouvelles sont cependant contradictoires ; tandis qu'un marconigramme du Virginian annonce que le Titanic menace à nouveau de couler, une autre dépêche déclare que les compartiments étanches tiennent bon et qu'il y a tout espoir de pouvoir ramener le navire au port. Le dernier télégramme reçu ce soir, à onze heures, confirme que le steamer continue à s'enfoncer dans les flots. Cette nouvelle, qui est envoyée par télégraphie sans fil par le vapeur Minia, ajoute qu'il sera peut-être nécessaire d'échouer le Titanic sur les côtes de Terre-Neuve.
Au siège de la White Star Company, dont les bureaux, aussi bien à Londres qu'à New-York, ont été durant toute la journée assiégés par les parents et les amis des passagers en quête de nouvelles, on persiste à déclarer que le Titanic ne peut pas couler.
En ce qui concerne les cause de l'accident, elles sont maintenant élucidées. Un champ de glace de dimensions considérables obstrue en effet depuis plusieurs jours la route suivie par les tansatlantiques au large des grands bancs de Terre-Neuve. Les capitaines des navires qui l'ont rencontré estiment la longueur de ce banc à 70 miles, c'est-à-dire 118 kilomètres au moins, et sa largeur à 35 miles, soit 59 kilomètres. Le Carmania, qui est arrivé hier à New-York s'est trouvé pris au milieu de ces icebergs jeudi dernier.
Le navire n'a pas été endommagé, mais fut pendant un certain temps en réel danger. Les passagers prétendent n'avoir pas compté moins de trente-cinq icebergs au milieu desquels le steamer dut, pendant des heures, louvoyer avec les plus grandes difficultés. Le paquebot français Niagara, en revanche, n'échappa pas sans avaries. Il fut par deux fois atteint au-dessous de sa ligne de flottaison. Le capitaine envoya même un message par télégraphie sans fil au Carmania pour lui demander de l'aide, mais les avaries ayant pu être réparées temporairement, le capitaine poursuivit sa route. Les vapeurs Kura, Armenian et Lord-Cranier se sont trouvés aux prises avec les mêmes difficultés. Enfin, le capitaine du paquebot de la Canadian Pacific, l'Empress-of-Britain, qui est arrivé hier à Liverpool, déclare avoir été retardé considérablement par la présence d'une multitude d'icebergs et par un banc de glace n'ayant pas moins de 160 kilomètres de longueur. Le danger lui parut si grand qu'il en prévint le Virginian par télégraphie sans fil.
Le Titanic était assuré au Lloyd pour 25 millions de francs. Bien qu'on ignore exactement la valeur de sa cargaison, on prétend qu'elle comprend une quantité de diaments évaluée à 25 millions de francs au moins et également assurée.


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Issu du site de la Bibliothèque Nationale de France.
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